C’est la deuxième fois que le fabricant de vêtements Peerless, qui offre des cours de français depuis plus de 20 ans, est contraint de fermer son programme
Un manufacturier montréalais de 1000 employés ne pourra plus offrir de cours de francisation en milieu de travail après s’être fait supprimer une subvention du ministère de l’Immigration, a appris Le Devoir. C’est la deuxième fois que le fabricant de vêtements Peerless, qui offre des cours de français depuis plus de 20 ans, est contraint de fermer son programme, considéré comme un « modèle ».
« Je suis tellement découragé. Le français ne devrait pas être un privilège, c’est un droit », a déclaré Mario Ayala, vice-président de la section syndicale Teamsters (FTQ). « J’ai toujours fait mon possible pour que [la francisation] fonctionne et j’ai tellement reçu de témoignages de gens que ça a aidés. […] Je me suis battu une première fois et je vais me battre encore », a poursuivi M. Ayala.
En 2016, Le Devoir avait révélé que les cours de francisation chez Vêtements Peerless avaient été abolis, faute de fonds. À l’époque, le syndicat faisait appel à un organisme à but non lucratif — et non au ministère de l’Immigration — pour embaucher des enseignants de français. C’est la Commission des partenaires du marché du travail (CPMT), alimentée par un fonds auquel les employeurs sont tenus légalement de contribuer, qui versait une subvention annuelle de 100 000 $ à Peerless pour couvrir le salaire des professeurs et le salaire minimum aux employés qui assistaient au cours.
Après la publication de l’article du Devoir, la ministre de l’Immigration d’alors, Kathleen Weil, avait relancé les cours en moins de deux semaines en puisant dans les fonds de son propre ministère pour payer le salaire d’un professeur. L’allocation du salaire minimum aux employés n’a toutefois pas été rétablie.
Finie, la subvention
En juillet dernier, lorsqu’il a appelé le ministère de l’Immigration, de la Francisation et de l’Intégration (MIFI) pour savoir quand les cours allaient reprendre après une pause pandémique, Mario Ayala ne s’attendait pas à se faire dire que ce type de programme n’était plus subventionné. Il déplore que Vêtements Peerless ait simplement été invité à diriger ses employés vers un site Internet pour consulter la liste des organismes à Montréal offrant des cours à temps partiel.
Selon lui, les gens préfèrent nettement suivre des cours en milieu de travail, car ils ne doivent pas à nouveau se déplacer. « Il y a des mères de familles monoparentales ou des personnes qui habitent loin. C’est plus facile pour elles de suivre le cours dans la cafétéria après leur journée de travail », a expliqué M. Ayala. Il estime que le programme a déjà eu plus d’une cinquantaine d’inscrits dans quatre cours quotidiens. Selon lui, au moins une trentaine de personnes seraient actuellement intéressées.
Originaire du Salvador, Mario Ayala, qui est passé lui-même par un programme de francisation il y a 35 ans, est un fervent ambassadeur des cours de français en entreprise. Quelques mois avant que le couperet ne tombe la première fois, le ministère de l’Immigration lui avait décerné le Mérite en francisation des personnes immigrantes.
Sorti en 2019, le documentaire Langue à l’ouvrage, réalisé par la FTQ et financé en partie par l’Office québécois de la langue française (OQLF), a fait la part belle à son histoire et à l’importance du programme qu’il porte à bout de bras au sein de Vêtements Peerless. Ayant toujours eu la langue de Vigneault à coeur, M. Ayala a même tout récemment tourné des capsules de promotion du français pour l’OQLF.
Recommencer à zéro ?
En entrevue au Devoir, le directeur des ressources humaines de Peerless ne décolère pas. « Honnêtement, on n’est pas juste déçus, on est frustrés. […] J’ai travaillé dans plusieurs compagnies par le passé, et il n’y en a pas beaucoup qui prennent le temps de mettre sur pied de tels programmes. Nous, on le fait depuis 20 ans et on nous l’enlève ! » a déploré Danny Sorrentino.
« [La francisation] est une porte d’entrée pour les immigrants afin qu’ils s’intègrent à la culture québécoise. Certains ont accès à des promotions chez nous ou s’en vont dans d’autres entreprises parce qu’ils ont pu apprendre le français ici. Et on est contents de ça ! »
Tel que cela est suggéré par le MIFI, Vêtements Peerless doit maintenant se tourner vers le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale (MTESS), qui gère les programmes de francisation en milieu de travail. Or, M. Sorrentino ne digère pas qu’on l’a laissé s’orienter seul dans le dédale du site Internet de Services Québec. « C’est comme nous dire : “Mettez-vous en ligne et recommencez à zéro. Dites à vos employés qu’ils doivent faire les démarches par eux-mêmes s’ils ont un intérêt à suivre des cours de français.” »
Il déplore le fait de ne pas avoir reçu d’avis l’informant que le programme prenait fin. Et surtout, de devoir se démener pour ramener un programme de francisation « qui marchait très bien ». « On veut juste avoir des cours de français dans notre entreprise, comme avant », souligne M. Sorrentino.
Il dit avoir passé « des heures » au téléphone et sur Internet à la recherche d’informations et d’une personne responsable qui pourrait prendre sa demande en charge. « Je veux qu’on me dise : “Danny, voici les personnes à qui tu dois parler.” Au lieu de ça, on nous envoie des liens et des pages du site Internet. »
De son côté, le MIFI confirme que, depuis 2015, il ne finance plus la francisation en milieu de travail. Il a toutefois maintenu quelques projets « historiques », dont celui avec Peerless. « Le MIFI est disposé à regarder les avenues de solutions avec l’entreprise pour répondre aux besoins de ses travailleuses et travailleurs », a indiqué Arianne Méthot, porte-parole du ministère. « Étant donné qu’il s’agit d’un partenaire historique qui recevait des services avant la pandémie, il est possible de [relancer] l’offre de cours en évaluant bien les besoins recherchés et l’intérêt de l’entreprise. »